Par Miguel Paternostre
Ingénieur civil architecte
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Voici 3000 ans sur le flanc d’une colline, une communauté s’affairait à glisser sur des rondins de bois une pierre de 70 m³. Cette masse, équivalente au poids de 50 voitures, allait être posée sur des fondations au-dessus du corps défunt d’un des leurs, dans une opération hautement technique et périlleuse.
Nous sommes à l’âge du bronze, de l’autre côté de la rivière d’un village en huttes de chaume. La cérémonie est en cours, au sein d’une gigantesque nécropole qui semble créée par des géants.
La scène ne se situe pas en France, en Irlande ou en Grande-Bretagne, mais bien à Gochang en Corée du Sud, pays qui contient 40 % des dolmens dénombrés dans le monde. Dans des régions opposées de la planète, avec un millénaire de décalage, les morts ont ainsi été ensevelis avec la même architecture cérémonielle.
Souffrance du deuil, mystère de la mort, questions du sens de la vie ont été notre lot de tout temps et ont généré de véritables univers culturels. Pour introduire ce reportage, je distinguerai schématiquement les directions spirituelles que prirent ensuite ces deux continents, et leurs premières implications sur l’architecture.
En 326 de notre ère, le monde occidental fut marqué par un tournant culturel majeur avec la conversion de l’empereur romain Constantin. Le choix du christianisme comme religion nationale influencera la vie spirituelle de millions de personnes pour les siècles qui suivirent.
En tant que religion monothéiste, on part du postulat de l’existence d’un dieu, et une des implications est l’existence d’âmes individuelles. La quête spirituelle consiste alors à élever sa conscience jusqu’à faire l’expérience de la présence de Dieu. Dans l’exercice de leur art, les architectes s’exerceront ainsi à libérer les gens de leur blocages faisant obstacles à cette expérience.
La première église officielle sous Constantin, Saint-Jean du Latran, fut construite sur le modèle d’une basilique civile romaine. Outre l’avantage d’un plan longitudinal pour un orateur qui s’adresse a une foule, l’axe principal rythmé par les colonnes de la nef symbolisait le cheminement du croyant vers le divin.
L’aspect extérieur était assez primitif, il faudra en effet plusieurs siècles pour que l’idée d’une façade représentative devienne un élément architectural important. A l’intérieur par contre, la richesse de sa décoration, en particulier sa voûte en lamelles d’or, lui valut d’être appelée basilica aurea. Les murs étaient ornés de mosaïque, les colonnes étaient en marbres de couleurs différentes, et plusieurs autels en or trônaient dans le sanctuaire.1
Saint-Jean du Latran a subi de nombreuses adaptations depuis son origine, mais la basilique Saint-Paul-Hors-Les-Murs actuelle peut nous donner une idée de ce à quoi elle ressemblait.2
Basilique Saint-Paul-Hors-Les-Murs, Rome.
Image adaptée d’une photo de Dnalor_01.
Wikimedia Commons, license : CC-BY-SA 3.0.
Dans les premières basiliques, cette emphase sur l’espace intérieur a continué et notamment culmina à Sainte-Sophie de Constantinople. Son ensemble doré et comme suspendu de coupole et demi-coupoles inspire encore aujourd’hui l’idée d’une richesse et d’une protection divine.
Mais toutes les religions ne sont pas déistes, et 600 ans avant Constantin Ier, L’empereur indien Ashoka influença de manière similaire l’avenir du continent asiatique.
En 260 av. J.-C., après une conquête au bilan humain catastrophique, Ashoka décida de se convertir au bouddhisme. Il promu alors une éthique non-violente incluant le respect de toutes les religions, et envoya des émissaires de paix dans les royaumes alentours. Les enseignements du Bouddha continueront à se propager dans toute l’Asie et atteindront la Corée de nos bâtisseurs de dolmens en 372 de notre ère, soit 50 ans après Constantin Ier.
Le point de départ du bouddhisme est l’observation de la réalité telle qu’elle est. L’homme qui en est à l’origine, Siddhartha Gautama, constata la souffrance inhérente à toute existence et décida d’en chercher la cause, pour y mettre fin. Il compris finalement que tous les phénomènes étaient composés et interdépendants, ce qui notamment va à l’encontre de notre impression d’une âme qui existe comme entité distincte.
L’approche du bouddhisme part alors de notre insatisfaction et de notre confusion, et l’on s’emploie à en démêler les causes. Dans cette optique, les architectes ont voulu aider les gens à voir et apprécier la réalité telle qu’elle est, en s’efforçant de les libérer de leurs conditionnements.
Stupa II, Sanchi.
Image adaptée d’une photo de Kevin Standage.
Wikimedia Commons, license : Attribution-Share Alike 2.0 Generic.
À l’époque d’Ashoka, les reliques du bouddha ont été distribuées en de nombreux endroits. Ceux-ci étaient marqués par des mausolées représentant le bouddha et sa relation avec l’Univers : les « stupas ».
N’oublions pas à ce stade que, selon le bouddhisme, chaque être vivant a la nature éveillée. Une représentation symbolique ou figurative du bouddha historique est aussi alors celle de notre propre nature, afin de nous aider sur notre chemin personnel.
Le plus ancien stupa du site de Sanchi en Inde en contient les éléments fondamentaux. Une masse semi-hémisphérique est entourée d’une balustrade en pierre. Celle-ci est ouverte suivant les quatre points cardinaux et symbolise ainsi l’espace. Les entrées, elles, se font à 90°, suggérant un mouvement dans le sens du course apparente du soleil. Elles symbolisent le temps.
Ce monument prenait alors vie par la circumambulation qu’opéraient les pèlerins dans le sens anti-horloger. Par une marche méditative, il s’agissait de s’ouvrir à sa propre réalité spatio-temporelle dans sa dimension cosmique.3
Comme la progression axiale dans les églises pour l’eucharistie, le stupa accompagne un mouvement impliquant le corps et l’esprit, dans une marche circulaire cette fois-ci. Par contre, là où la basilique primitive met l’accent sur la richesse de l’espace intérieur, le stupa exprime le rayonnement extérieur d’un objet. Ce type architectural représentatif du bouddhisme continuera à se développer dans toute l’Asie, jusqu’au temple de Borobudur en Indonésie et aux pagodes coréennes notamment.
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L’architecture a ainsi apporté des réponses différentes en fonction du contexte et des approches spirituelles, accompagnant l’homme dans sa quête de vérité par une communication au-delà des mots.
L’art de construire Coréen m’intéresse dans le sens où le bouddhisme y a été importé de Chine ainsi que son architecture. Je voudrais contribuer à faire la part des choses dans l’origine des formes, entre celles qui proviennent de circonstances locales et celles directement liées aux enseignements. Car je pense que ce sont celles-la qui devraient être la source d’une architecture authentique et locale.
Plus que les temples orientaux dans une Europe où le bouddhisme est récent et multiple, il est étonnant de voir en Corée toutes ces églises au visage étrangement occidental. Dans un pays qui est pourtant le seul à s’être auto-évangélisé et dont les chrétiens représentent maintenant près de 30 % de la population.4
Je suis convaincu que c’est en évoluant que les traditions vivent et se transmettent, mais les formes doivent continuer à trouver leur origine dans le sens.
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Maintenant sur le site mégalithique de Gochang, après cette promenade rapetissante entre des cailloux d’Hercules, je bute dans la forêt sur l’un de ces tumulus, contemporains mais hors du temps. Cette fois-ci une plaque l’accompagne :
Kim J** G* d’Andong
Jeon K*** N*** d’Onjeon
1918-07-07 – 1967-02-02
1927-10-08 – 2008-12-23
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Références :
1. Mark Jarzombek, Vikramaditya Prakash et Francis D. K. Ching (2017). A global history of architecture. USA : Éditions John Wiley & Sons, pp 260-261.
Françoise Thelamon. Visibilité des chrétiens dans la ville après 313 : Aquilée, Rome, Jérusalem. https://books.openedition.org/purh/1426#ftn81
2. Wikipedia. Basilique Saint-Jean-de-Latran. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Basilique_Saint-Jean-de-Latran.
3. Mark Jarzombek, Vikramaditya Prakash et Francis D. K. Ching (2017). A global history of architecture. USA : Éditions John Wiley & Sons, p 186.
4. Benjamin Joinau (2015). Le Guide Vert, Corée du Sud. France : Éditions Michelin, p 65.